Druze Puzzle
La communauté Druze est méconnue, comme d’ailleurs les autres communautés religieuses dont on parle régulièrement, sans au final en connaître l’histoire, Raymond Aron disait pourtant que « l’incompréhension du présent naît forcément de l’ignorance du passé », perspective qui devrait être de chaque perception et notre prologue décliné à tous les domaines, toutes les questions et ce alors que Socrate se répétait « scio me nihil scire ».
Mais le crime moderne transperce par sa froideur, ou son indifférence que le Pape Benoît XVI martèle. Joseph Stiglitz, ancien chef économiste de la Banque Mondiale décrit une guerre technologique moderne conçue pour éradiquer tout contact physique, jeter des bombes à 1 500 mètres d’altitude empêche de ressentir ce que l’on fait. On peut imposer sans faiblesse des politiques auxquelles on réfléchirait à deux fois si l’on connaissait les gens dont elles détruisent la vie… on réfléchirait surtout à deux fois, si l’on considérait que ces gens pourraient également détruire la nôtre ; cela force immanquablement la prudence et le respect.
Sommes-nous alors face au culte de la peur ?
Non, à celui de l’humilité et de la faiblesse, « c’est lorsque je suis faible, qu’alors je suis fort », confiant mes craintes à Dieu, je m’efface, pour le laisser agir. La faiblesse devient alors une armure, puisqu’il n’y a que le fort au final, qui peut choisir de s’abaisser, mais surtout parce qu’il n’y a que le faible qui en appelle à Dieu. Le Tout-Puissant s’est ainsi incarné dans le peuple Juif parce qu’il était le martyrisé de tous, raison à cette élection et non à celle d’une quelconque prédestination à la suprématie. Vous l’aurez compris, la souffrance éduque avec autorité l’humilité qui regorge de secrets inestimables.
Ainsi, les responsables politiques français à Beyrouth m’expliquaient combien l’attitude des dessinateurs parisiens était dangereuse pour tout Français vivant en dehors des frontières de son pays, mais surtout pour les dessinateurs eux-mêmes et ce alors, qu’un des leurs, d’origine algérienne se décrivait comme un simple « bouffon »… oubliant le sort réservé à ceux qui ne parvenaient à faire rire les rois. Par ailleurs, il expliquait combien la difficulté d’être publié l’isolait chaque jour un peu plus dans l’excès, c’était à celui qui irait le plus loin. Ôter la vie d’un homme, ne peut être excusé, mais je me demande seulement si on oserait dire les mêmes choses, face à ceux qu’on pointe du doigt, tout n’est au final qu’une question de distanciation, une erreur dans un monde où les frontières sont pourtant rappelées toujours plus minces. Malgré cela, nous continuons à cadenasser l’histoire humaine dans tel ou tel attribut, effort égoïste, simpliste et tentant d’ingurgitation.
Très peu de personnes, moi le premier, seraient ainsi capables d’énumérer les caractéristiques constitutives de la religion musulmane ou même chrétienne, premièrement par méconnaissance et deuxièmement parce qu’une recherche « scientifique » se diluerait bien rapidement dans les convictions personnelles. Ce n’est pas nécessairement une erreur d’ailleurs, tant que la méconnaissance ou les convictions ne se détournent pas de l’amour et du respect de son prochain, dans pareil cas, nous pourrions même nous dispenser de l’étude. Restent alors les vérités et les faits, ou les rencontres, et une récente invitation, renouvelée, avec un représentant politique druze m’ont permis d’en apprendre davantage sur ces mystérieux habitants.
Ce qui frappe à première vue dans la région montagneuse d’Aley au Liban acquise à la communauté Druze, c’est son nombre édifiant d’églises, on comprend alors ce qui sera expliqué un peu plus loin et qui s’assimile à un accord tacite entre des communautés aujourd’hui minoritaires. Cette jonction n’est peut-être toutefois pas si complète et réelle, mais mon hôte m’invite à la considérer. Une entrevue commence alors avec le Docteur Haissam Bou-Said chef politique, médecin de profession et conseiller d’un premier ministre africain, de toutes les casquettes, il est appelé le plus à relever la cause de ces milliers de personnes « qui comptent sur lui » devant toute tribune et c’est précisément ce qui nous réunit ici.
Avant tout, il met en garde sur le positionnement de la France à l’égard du pouvoir de Bachar Al Assad en Syrie et questionne : « Est-ce que vous toléreriez que Bachar vienne vous enlever votre président ? » Bien qu’une partie des Français ne refuserait cette occasion, la comparaison reste démesurée, mais son fondement est juste et interroge sur le positionnement français à l’égard de la Syrie, quel est-il ?
Mon silence fait jaillir chez lui l’expression d’une satisfaction, l’heure ne serait ainsi plus à se défaire de Bachar Al Assad, ce à quoi je reste pensif. À cela, il rajoute que la France, « mère » de nombreuses communautés dans la région se doit de retrouver une voix au Moyen-Orient et un ton bienveillant à l’égard de tous ceux qui espèrent en elle, faute de quoi, ses enfants abandonnés se chercheront une nouvelle mère, et un père s’il le faut ! Moquée est l’attitude d’assimilation avec la position américaine et de nouveau une fausse interrogation : « Que ferez-vous après ? » La France, comme de nombreux pays ont compté/comptent sur les États-Unis, ce n’est pas l’amitié qui est décriée, mais le manque d’envol, le « que ferez-vous après » OTAN est une mise en garde qui va conditionner notre échange.
Le risque d’attentats en France serait d’après lui bien réel, mais n’aurait encore atteint son paroxysme, car les dirigeants « syriens et iraniens patients, privilégient encore le dialogue », il nous faut savoir ainsi que les Chiites seraient des hommes réfléchis, stratèges ou encore endurants avant de me questionner de nouveau : « Que feriez-vous demain s’il était demandé à 800 personnes insoupçonnables sur votre territoire, de commettre des attentats ? » Le ton est de nouveau rappelé.
Mais, ce n’est pas la menace qui triomphe dans son discours, mais l’appel à la raison et des invocations : « Ne méprisez pas le faible ! » « N’attisez pas la violence ! », « Ne poussez pas les Iraniens à bout ! », « Est-ce Daech que vous souhaitez ? »
À ce stade de l’échange donc, il est évoqué :
- Une France qui serait devenue particulièrement agressive à l’égard de ses anciens protégés au Moyen-Orient.
- Une France qui sous-estimerait la capacité de défense de ceux qu’elle agresserait aujourd’hui.
- Une France dont on ne connaît plus vraiment le positionnement, après le « va-t-en-guerre » d’apparence du ministre des Affaires étrangères, que reste-t-il ?
- Une France qui n’est elle-même pas convaincue du bien fondé d’une telle posture.
- Bachar Al Assad qui devait être balayé d’un revers de la main s’avère être plus endurant que prévu, poussant les acteurs à revoir leurs positionnements.
- La France est invitée à reprendre son rôle historique, à se réapproprier sa voix dans le Concert des Nations.
- La France est considérée comme la « mère » de plusieurs communautés minoritaires.
- Or, sans réaction de la France, les communautés cherchent et se chercheront de nouveau d’autres soutiens.
- La France serait soumise à un agenda outre-Atlantique.
- Que resterait-il à la France si les États-Unis se désolidarisait d’elle ?
- Que ferait la France si de l’Europe l’OTAN finalement se retirait ?
- Une mise en garde est lancée.
- Le risque d’attentats en France serait bien présent.
- Le risque d’attentats en France pourrait être multiplié.
- Le risque d’attentats en France est instrumentalisé.
- Syriens et Iraniens pourraient avoir un rôle dans la multiplication de ces derniers.
- Syriens et Iraniens privilégieraient encore le dialogue.
- Les attributs chiites seraient la réflexion, une stratégie endurante et une patience imperturbable.
- Toutefois, 800 personnes insoupçonnables suffiraient à enflammer la France.
- Il ne faudrait mépriser ces mises en garde et se croire hors de portée.
À la suite de plusieurs nouvelles questions sur la réputation des Druzes à trahir leurs alliés ainsi que sur les attentes de sa communauté à l’égard de la France, mon hôte me répond que les Druzes n’attaqueront jamais les premiers. Ils croient en la présence de Dieu aux côtés des plus faibles et en cette raison ne souhaitent pas perdre son appui et sa grâce. Toutefois et ce bien qu’un Druze ne trahirait pas son allié, il n’accepterait pas pour autant une atteinte à son intégrité ou à son honneur et aurait le devoir, par un moyen ou un autre de se venger, sans quoi Druze, il ne serait.
Les Druzes seraient ainsi fidèles dans leurs alliances, gare toutefois à ne pas les trahir ou mentir sur ses véritables intentions révélant ainsi une capacité à prendre les devants et surprendre des alliés désormais considérés en ennemis ; traîtres sur le puzzle ambiant, ils seraient en réalité de fins politiques.
Quant aux attentes, la Communauté espère un geste envers Bachar Al Assad, un pas vers un rétablissement des relations qui passerait par exemple par une réouverture des ambassades. L’objectif étant de protéger les minorités druzes, alaouites ou chrétiennes, voire même sunnites qui seraient les victimes de la violence de factions terroristes, divisées et semant la terreur.
Nul ne comprend pourquoi ce pays a été mis à feu et à sang, mais d’après lui, il serait encore temps de sauver ce qui peut être sauvé et Bachar Al Assad accepterait toute attitude allant dans ce sens.
Toutefois, on a pu le voir avec le Hezbollah, la Russie ou encore l’Iran, il n’y a pas de personnification de la relation avec la Syrie, mais bien un impératif : ils n’accepteront pas que Bachar Al Assad soit défait par les Occidentaux selon des conditions qui ne sont pas les leurs.
À ce stade de l’échange donc :
- Les Druzes minoritaires dans la région auraient la réputation de trahir leurs alliés et de se défaire facilement de leurs alliances.
- Ce à quoi le chef druze répond négativement, la position minoritaire ayant alimenté une attitude prudente les rendant extrêmement sensibles à ce que leurs alliés pourraient projeter. Ces conditions poussent les Druzes à être extrêmement attentifs à leur environnement et à être prêts à changer rapidement de position.
- Les Druzes cultivent la posture défensive, plus agréable à Dieu et n’attaqueraient jamais les premiers.
- Les Druzes toutefois n’accepteront jamais une atteinte à leur intégrité ou leur honneur.
- La vengeance est un devoir.
- La peur de mourir occultée, le Druze croit en la réincarnation.
- Les Druzes espèrent un geste envers Bachar Al Assad.
- Les Druzes sont convaincus que personne ne souhaite voir Daech à ses frontières.
- Les Druzes garantissent que Bachar Al Assad serait capable d’effacer tout ce qui s’est produit à condition que le dialogue avec les Occidentaux soit officiellement rétabli, sous-entendant qu’officieusement il l’est.
- Bachar Al Assad serait prêt à négocier des faveurs aux Européens dans leur lutte contre le terrorisme ; est évoqué l’échange de données.
- Les alliés de la Syrie ne sont pas contre un départ de Bachar Al Assad mais certainement pas calqué à un calendrier occidental.
Les Américains sont accusés de tous les maux sur terre, or il apparaît sur le terrain que tout le monde recherche leur soutien, leur silence et leur stratégie jettent dans la confusion leurs protégés qui se retournent vers des anciens partenaires historiques. La Russie n’est jamais apparue aussi forte, la France est également sollicitée, mais d’autres acteurs européens plus discrets se font incontournables, je suis ainsi marqué par la réputation des Italiens qui depuis plusieurs années se développent économiquement, nouant des alliances effectives.
Toutefois, la nature complexe du terrain, ainsi que l’esprit virevoltant des Arabes conjuguent des visions éternelles à des mécaniques de mouvement foudroyantes ; une sagesse divine au coeur enflammé.
Au Moyen-Orient, l’histoire n’est pas différente de la nôtre, puisqu’elle est humaine. Cette région qui n’a peut-être jamais été aussi bouleversée, n’a pourtant jamais été aussi proche d’être libérée car tout y est toujours espéré.
Et puis c’est bien de là-bas qu’on a appris que l’on meurt, mais surtout que l’on ressuscite.
Elie Khoury